Pas à pas

2017-08-07 07:55DeuxdanseursthiopiensengagentpourchangerlasociparZhangChungai
中国与非洲(法文版) 2017年5期

Deux danseurs éthiopiens s’engagent pour changer la société par Zhang Chungai

Reportages d’Afrique

Pas à pas

Deux danseurs éthiopiens s’engagent pour changer la société par Zhang Chungai

Destino a fait ses débuts en 2014 avec une représentation à l’Alliance Éthio-Française d’Addis Abeba.

LA troupe de danse Destino

ne sait plus où donner de la tête. « Nous mettons actuellement en place un programme de l’Union européenne et la moitié du personnel est hors d’Addis-Abeba pour effectuer des recherches », explique Marta Romero, productrice associée de la troupe dans la capitale éthiopienne. « Le programme consiste en la protection de la danse traditionnelle en Éthiopie et nous voyageons dans toutes les régions du pays pour rassembler des données, des photos et des vidéos, afin de publier un livre et produire un documentaire qui nous permettra de souligner l’importance des traditions et de la danse pour préserver l’identité et changer les vies. »

Des préparatifs sont également en cours pour le premier festival de danse de l’histoire du pays en octobre prochain. « D’autres troupes africaines et internationales vont nous rejoindre », explique Mme Romero, qui fait partie du quartette à la base de Destino. Aux côtés de Claire Balbo, productrice associée qui s’occupe de la levée de fonds, on trouve Addisu Demissie, le directeur, et Junaid Jemal Sendi, le directeur artistique.

Des talents des rues

Leur histoire est encore plus incroyable que leur spectacle. « Avant de danser, je travaillais comme cireur de chaussures dans les rues », souligne M. Demissie, alors que M. Sendi y vendait des mouchoirs.

Dans son livreMandela’s Dancers: Oral Histories of Program Participants and Organizers, Rodreguez King-Dorset a interviewé Barry Ganberg, directeur des études musicales à la Rambert School of Ballet and Contemporary Dance au Royaume-Uni. Il y explique comment il s’est rendu à Addis-Abeba avec la chorégraphe britannique Royston Maldoom pour un « projet des droits de l’homme » dans les années 1980. Le projet Carmina Burana consistait en un répertoire de danse de grande envergure avec plus d’une centaine d’enfants des rues d’Éthiopie.

Deux décennies plus tard, M. Demissie se souvient. « On a sélectionné 120 enfants », dit-il. Il avait 12 ans et M. Sendi, 10 ans. Ce projet, comme le dit M. Ganberg dans son livre, « a aidé les gens à trouver un sens de l’identité, à réaliser quelque chose qu’ils ne pensaient jamais pouvoir faire auparavant. Ils ont commencé à prendre conscience de ce qu’ils valaient ». Plus tard, 18 d’entre eux ont été sélectionnés pour une formation complémentaire dans la troupe de danse Dance United au Royaume-Uni en partenariat avec Gemini Trust en Éthiopie – une ONG – où ils ont appris la danse contemporaine, la danse traditionnelle éthiopienne et le théâtre africain. En 2014, après cinq années de formation, un diplôme de l’Université du Middlesex en poche et des spectacles dans le monde entier, ils ont lancé la troupe de danse Destino. « Nous nous servons de la danse pour promouvoir les transformations sociales », telle est la mission de Destino. « Nous pensons que la danse peut être l’instrument parfait pour donner des opportunités aux jeunes qui n’en ont pas. Nous avons eu la chance de nous les voir offrir il y a 20 ans. Notre mission est de nous servir de la danse pour transférer ce qu’on nous a appris et transformer la vie des autres jeunes pour devenir fiers d’eux-mêmes et capables de créer leur propre avenir. »

Pour pouvoir transmettre à leur tour à la société, explique M. Sendi, douze jeunes venant d’un milieu défavorisé reçoivent maintenant et pendant trois ans la formation que les fondateurs de Destino avaient reçue. Elle est gratuite et complétée par un accès à l’éducation, avec l’espoir qu’ils deviennent une communauté soudée de danseurs, et rejoignent Destino pour promouvoir la dansecontemporaine. « L’art est l’instrument le plus puissant pour changer le monde. La danse contemporaine est un excellent outil, vous pouvez utiliser votre corps pour dire ce que vous voulez. C’est une langue internationale. Nous voulons nous servir de la danse pour développer l’Éthiopie. »

Les danses éthiopiennes contemporaines font partie intégrante du répertoire de la troupe.

Notre vision, c’est que la danse est un outil parfait pour changer les vies, pas seulement en Afrique, mais dans le monde entier.

Marta Romero, productrice associée de la troupe de danse Destino

Développer les possibilités pour la danse

Destino peut donner des spectacles partout, des plus grandes scènes londoniennes aux rues poussiéreuses d’Éthiopie, dans les bidonvilles et même des escaliers. Souples et en parfaite condition physique, les chorégraphies des danseurs incluent des acrobaties parfois spectaculaires.

Un atelier est d’ailleurs en cours avec Emily Schoen Branch, une chorégraphe américaine en visite de la Troupe Schoen Movement. Certains danseurs portent des tee-shirts verts qui sur lesquels est écrit « Vivre pour danser ». Ils se tiennent sur des béquilles. La plupart ont souffert de la poliomyélite. Au lieu de les handicaper, les béquilles leur permettent d’être mobiles et de se balancer, de courir et de tomber sur le sol avec fluidité. Sur sa page Facebook, une participante, Nicole Wolcott, se fait l’écho du public en écrivant : « Je n’imaginais pas cela quand on m’a dit qu’on ferait un atelier avec des personnes handicapées. Je m’interroge sur le terme de 'handicap' dans ce contexte. Capacité différente ? Capacité incroyable ? Capacité d’inspiration ? Peu importe la capacité, ce sont uniquement des danseurs. »

En 2015, Destino s’est associé à Soul of Africa (SOA), un fabricant de chaussures africain réputé, pour fournir une formation de danse de trois mois à 17 jeunes handicapés éthiopiens. « La plupart des participants ne connaissaient pas la danse et les spectacles avant cela et pensaient que c’était impossible. Cependant, quand on lui donne une chance, un corps handicapé est comme tout autre corps : il bouge, communique avec les autres et exprime des sentiments et des émotions d’une façon unique et belle. »

Les cours de danse de Destino le lundi sont ainsi réservées aux personnes touchées par la polio et les non-voyants. En Éthiopie, certains considèrent qu’un handicap est une malédiction qui doit être occultée. « Nous luttons contre cette stigmatisation et trouvons des talents chez les nouveaux danseurs. Nous voulons libérer leur potentiel », se promet Destino.

Représentation annuelle à l’amphithéâtre Mega d’Addis Abeba.

Des potentiels derrière les barreaux

Le mercredi, ce sont des jeunes d’un centre de détention à Addis-Abeba qui suivent des cours. Ils sont condamnés pour des délits mineurs. « Nous avons remarqué que notre travail a un double impact », indique Destino sur son site internet. « D’un côté, nous aidons les jeunes à ne plus être agressifs, à reprendre confiance et à se réinsérer, et de l’autre, nous facilitons et améliorons la relation entre les jeunes et le personnel du centre. »

La troupe adopte une double stratégie. « Nous utilisons la danse pour aider la communauté et traiter des problèmes divers en Éthiopie, comme le mariage des enfants, le VIH/Sida et le handicap », selon M. Demissie.

Destino parcourt le pays pour sensibiliser le public et donne des représentations, notamment dans l’ouest, pour promouvoir la culture éthiopienne. « En 2018, nous avons prévu une tournée en Europe pour donner des spectacles et enseigner comme nous l’avions fait en 2014 et 2015 », explique Marta Romero. « Notre vision, c’est que la danse est un outil parfait pour changer les vies, pas seulement en Afrique, mais dans le monde entier. » CA